La Céramique Marocaine
La Faïence De Fès
Il existe deux types de productions de céramique au Maroc, correspondant à deux modes de vie différents :
- une poterie populaire produite par les femmes dans les régions rurales,
- une faïence plus fine, élaborée par les artisans dans certaines villes marocaines.
La poterie est l’oeuvre de femmes sédentaires, surtout dans les massifs montagneux du nord marocain (Rif, Zerhoun). Cette poterie est façonnée à la main et comporte des décors exclusivement géométriques. Mais c’est à Fès que les artisans ont exercé leur talent par la production d’une faïence fine.
L’origine des ateliers de fabrication remonte probablement au Xe ou XIe siècle.
Voyons maintenant 3 types de pièces assez caractéristiques de la faïence de Fès :
1) Mokhfia :
La mokhfia est un plat conique qui sert à la présentation du couscous. Jusqu’à la moitié du XVIIIe siècle, leur décor s’effectuait suivant un thème d’inspiration religieuse sur fond floral. Les couleurs utilisées à cette époque étaient le bleu-gris doux, le violet pâle ainsi que le jaune. Le décor floral présente des motifs de fleurs et de feuilles stylisées répétées plusieurs fois. un mouvement de rotation est rendu sur ces plats à travers des spirales tournoyantes. Ces types de mokhfia n’ont de traits communs ni avec les créations d’Iznik ni avec la Perse antique. Dans les plus anciennes pièces, un motif de plumes accompagne généralement le décor floral.
Durant la première moitié du XVIIIe siècle, une production particulière de mokhfia se distingue de la précédente par son décor, toujours floral, plus touffu, avec une composition beaucoup plus complexe. Le traitement des groupes d’oeillets est plus réaliste et offre généralement un camaïeu de deux bleus et de deux jaunes. Ces pièces présentent des similitudes très nettes avec les pièces tunisiennes de même époque et cela est probablement dû au fait que la tradition artistique enregistrée en cette fin de XVIIe et début XVIIIe avait une même origine, à savoir l’Andalousie. À la fin du XVIIIe siècle apparaissent de nouveaux éléments dans l’ornementation florale. La répartition de l’espace est plus compartimentée et les décors sont généralement enfermés dans des Mihrab stylisés.
Un troisième type de fabrication donnera naissance au décor géométrique, dominé cette fois par une palette de couleurs radicalement différente de la précédente. Le sceau de Salomon à huit branches devient une constante dans le décor des Mokhfia, des colonnes en vert rehaussent la pièce avec un motif floral.
À la deuxième moitié du XIXe siècle les Mokhfia sont abandonnés au profit d’autres plats.
2) Ghorraf :
Le Ghorraf est un pichet dont la fonction principale est de contenir des liquides comme l’eau, le lait, l’huile et certains fromages. Ces pièces ont connu la même évolution décorative que les mokhfia : le décor floral a fait place au décor floral-géométrique, puis à un décor à dominante géométrique.
Les plus anciens ghorraf présentent une forme très équilibrée et le décor ne couvre jamais la totalité de la pièce. En revanche, le décor en frise s’intègre dans une répartition de l’espace en 4 compartiments (diour) pour les petits pichets, et 6 pour les grands, soit comme les mokhfia.
Les plus anciennes pièces (XVIIIe-XIXe) présentent des décors variés : l’anse est soit rayée longitudinalement en brun, soit rayée en jaune et vert. Plus tard, les anses seront monochromes verts.
Les motifs appelés « arbre de vie » ou sboula se retrouvent dans les plus anciens pichets, ils disparaîtront vers 1820. Pour compenser leur manque de puissance, les pièces de cette époque présentent des couleurs éclatantes.
3) Jobbana :
La jobbana est un récipient beurrier appelé aussi pot à graisse qui apparaît au Maroc au XVIIIe siècle, et qui s’inspire des pots à gingembre chinois.
Les faïenciers de Fès ont très vite donné à la jobbana un cachet typiquement marocain. La pièce est composée de deux parties : le corps du récipient est un bol généralement sans piédouche, sur lequel se pose un couvercle avec un bouton de préhension dont la forme varie.
Il existe aussi des jobbana dont le bol comporte un haut piédouche et le couvercle en forme de coupole appelé qouba. Ces types de jobbana sont d’une grande qualité d’exécution.
Dès leur apparition, les jobbana présentaient un riche décor faisant appel à l’imagination des maîtres décorateurs. Les plus anciennes ont un décor floral très stylisé généralement réparti sur 4 compartiments (diour), parfois 2, offrant ainsi deux dessins opposés traités différemment.
Beaucoup plus tardivement, apparaît e décor géométrique; le style rompt très nettement avec le précédent. Ce changement s’opère lorsque la jobbana perd de son importance, d’où une qualité d’exécution plus sommaire.
Entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe, la production de jobbana a atteint un essor incontestable (environ 80 ans) qui correspond à l’âge d’or de l’art culinaire marocain. Les décors se diversifient : décor de Mihrab (niche), de grappes, de noqta (points), de cartouches de forme cintrée où se déploient des fleurs. Il existe aussi un décor bleu et blanc, beaucoup plus rare et qui rappelle les fameux bleu et blanc Ming.
Aujourd’hui, les jobbana n’ont plus la même vitalité et ne dégagent pas la même symbolique que les plus anciennes.
Amel Ferhat,
Historienne de l’art